Les guides

Différentes personnes nous inspirent dans le contexte de cette expédition. Nous les considérons comme nos guides — que ce soit sur le mode imaginaire ou réel — parce qu’ils nous devancent, nous ouvrent le chemin et nous mettent en marche, pour toutes sortes de raisons. Nous lirons certains de leurs écrits en cours de route, ou des écrits qui les concernent.

Les pères Pierre-Michel Laure (jésuite), Roger Buliard (oblat), Albert Lacombe (oblat) et Alexis Joveneau (oblat) sont des missionnaires qui ont œuvré toute leur vie pour/avec les Inuits, les Indiens et les Métis en Amérique du Nord. Le père Buliard a écrit un livre sur son apostolat dans le Nord, intitulé Inuk – Au dos de la terre (1949). Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque consacrent tout un chapitre au père Lacombe dans Ils ont couru l’Amérique (Lux éditeur, 2014). Quant au père Joveneau, Pierre Perrault en a fait un acteur important de son film Le goût de la farine, disponible sur le site de l’ONF. Nous aurons l’occasion de vous reparler de ces religieux.

Même si les femmes ne peuvent toujours pas accéder à la prêtrise en ce début de 3e millénaire, elles sont tout de même en mesure d’occuper des postes clés au sein de l’Église — ou du moins d’avoir une certaine influence. De l’histoire, nous retenons Kateri Tekakouitha, première Amérindienne à être déclarée « vénérable » par l’Église catholique, Marie Guyart, dite de l’Incarnation, fondatrice des Ursulines de la Nouvelle-France (en l’honneur de laquelle on nomma le Complexe G à Québec, où est le ministère de l’Éducation), et finalement Esther Wheelwright, jeune Anglaise capturée par des Abénaquis dans le Maine, devenue à la suite de (palpitantes) tribulations mère supérieure des Ursulines de Québec, notamment pendant la Conquête — consultez le passionnant ouvrage Elles ont fait l’Amérique (Lux éditeur, 2011) de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque pour plus de détails.

La Grande Sauterelle est un personnage créé par Jacques Poulin dans son roman Volkswagen Blues. Métisse, sa traversée de l’Amérique, aux côtés de Jack Waterman, constitue pour elle l’occasion de « se réconcilier avec elle-même », vaste entreprise qui l’oblige à revenir sur plusieurs faits historiques impliquant des tribus indiennes tout au long du périple. Comme c’est souvent elle qui guide son compagnon dans leur voyage — qui fait les premiers pas lors des rencontres importantes, répare le véhicule, a l’intuition de la bonne route à prendre —, il est permis de penser qu’elle a un peu de Sacagawae en elle, cette Indienne shoshone qui joua un rôle si important dans l’expédition de Lewis et Clark, au début du 19e siècle. La Grande Sauterelle, même si elle est un personnage de fiction, n’en constitue pas moins une figure extrêmement évocatrice de la force métisse, moderne et lucide, qui cherche à assumer à sa façon ses doubles origines.

Hommage soit rendu aux nombreux coureurs de bois, canoteurs, explorateurs, « ensauvagés » qui coururent l’Amérique (pour paraphraser l’ouvrage cité plus haut) : les Étienne Brûlé, Guillaume Couture, Louis Jolliet, Pierre-Esprit Radisson et tant d’autres. Nommons aussi des femmes : Isabelle Montour, Mina Benson Hubbard, Maud Maloney Watt, etc. Si notre histoire est véritablement « une épopée », elle vient de la force de ces hommes et de ces femmes, de leurs extraordinaires capacités d’adaptation, de leur talent d’interprète, de leur esprit large comme le territoire qu’ils étaient assoiffés de découvrir, à leurs risques et périls. Nous en profitons aussi pour remercier l’anthropologue Serge Bouchard, un de nos guides lui aussi, assurément, puisque ses ouvrages nous ont appris sur nous plus que nos cours d’histoire, nous ont (re)donné le goût d’être pleinement nous-mêmes, riches de toutes nos métisseries. Dans la préface d’Ils ont couru l’Amérique, lui et Marie-Christine Lévesque écrivent : « qu’avons-nous en commun avec lord Elgin, le marquis de Denonville ou la princesse Louise Caroline Alberta, quatrième fille de la reine Victoria? Nous sommes plutôt les enfants de femmes briseuses de conventions, les rejetons d’hommes libres et d’Indiens souverains. Nous descendons de ceux et celles qui ont fait une « nouvelle nation » ainsi que la rêvait Louis Riel, dans le courage, dans le mélange des genres ». Voici ce que nous voulons affirmer nous aussi à travers cette expédition.

Le père Laure, dans ses écrits, tient Marie Outchiouanish, Montagnaise de Chicoutimi, en haute estime. C’est elle qui lui apprit la langue : « En maître elle conduisait mes études, et dès le premier mot qu’elle m’entendit prononcer, c’en est fait, dit-elle aux autres, notre père a parlé notre langue, je ne lui parlerai plus français. Malgré mes instances, elle garda sa parole ; et à force de le faire deviner elle mit son écolier en état de prêcher à Noël le mystère sans papier ». Que les Indiens et les missionnaires aient été en aussi bonnes relations nous semble digne d’être souligné. Marie Outchiouanish a beaucoup aidé le père Laure dans sa confection d’un dictionnaire français-montagnais. De fil en aiguille, cette image de femme indienne forte, généreuse et amoureuse de sa langue nous fait penser à Joséphine Bacon, poète innue de Pessamit (Betsiamites), dont la voix résonne avec autant de justesse. Nous emportons dans nos bagages ses bâtons à message : nos thés dans la toundra n’en seront que plus roboratifs.

Nous profiterons de cette expédition pour relire des poèmes de Gaston Miron, et pour réécouter des textes de Richard Desjardins, un des rares à s’immiscer dans la parole autochtone avec autant de qualité, comme en font foi les chansons Nataq, Moi, Elsie et Les Yankees.

Gérald Dion travaille comme médecin à Mistissini depuis plusieurs années, depuis tellement longtemps en fait qu’il marche comme un Indien, pense comme un Indien, nomadise comme un Indien — voilà du moins ce que son ami Jean Désy se plaît à dire de lui. Quand Jean s’est rendu à la Colline blanche pour la première fois, c’est Gérald qui l’a guidé. Nous avons déjà eu l’occasion de vous le présenter dans ce blogue, alors qu’il lit un poème en canot sur la Témiscamie.

Certaines gens, comme Louis-Edmond Hamelin, sont des inventeurs de mots : à partir d’une simple juxtaposition de lettres et de syllabes, ils lancent des univers entiers à la face des vivants. Louis-Edmond nous a donné les mots « nordicité », « glaciel », « glissité », « pergélisol », « hivernité » et plusieurs autres. Jean Désy le considère comme son mentor. Géographe, économiste, linguiste, fondateur du Centre d’études nordiques de l’Université Laval, il est un authentique coureur de froid, un homme de terrain, un visionnaire. Un documentaire sur sa vie a été lancé en 2012 : Le Nord au cœur, réalisé par Serge Giguère. C’est Louis-Edmond qui nous mit sur la piste de la Colline blanche et du père Laure.  En mai 2013, nous allions le rencontrer chez lui, pour qu’il nous parle un peu plus de l’Antre de marbre (voir le résumé de cette rencontre, avec un extrait vidéo).

Nous aimons saint François d’Assise pour le grand désir d’intégrité qu’il manifesta tout au long de sa vie, dans sa réponse à l’appel qu’il pressentait ; nous aimons aussi que notre pape actuel se réclame de lui. Le Très-Bas de Christian Bobin et Le pauvre d’Assise de Nikos Kazantzakis nous ont émus, tout comme les œuvres de François d’Assise lui-même, notamment son Cantique des créatures, que nous lirons certainement pendant l’expédition (en ajoutant une strophe sur les maringouins).

Jésus-Christ, pour nous, n’est pas qu’une figure historique incontournable. C’est le Dieu vivant — mystérieusement vivant — qui nous précède et nous encourage à passer sur l’autre rive, à changer notre regard, à changer le monde, à nous méfier de l’endurcissement des cœurs. Affirmer sa foi dans la société occidentale du XXIe siècle est une entreprise hautement délicate. L’héritage laissé par des siècles et des siècles de chrétienté est particulièrement lourd à porter et sème la confusion. Comment être croyant sans avoir l’air endoctriné, naïf, influençable, pastel, prosélyte? Telle est peut-être la question fondamentale qui meut cette expédition.