Pêcheur du Nord

Pecheur

 

Le pêcheur du Nord
Admire le temps des poissons
Les nuages qui frayent en forêt
Les gouttes de pluie comme des appâts
Il aime s’abreuver du silence
Tout-puissant qui règne sur les eaux
Il espère attraper du brochet
Saisir l’ombre de l’onde
Mais le pêcheur du Nord sait bien
Que le plus important
C’est de flotter jusqu’au firmament
Jusque dans une anse où le doré abonde
C’est une affaire de mangeaille
De survie pour le corps
D’exaltation pour l’esprit

Pepkutshukatteu

Pepkutshukatteu, en innu aimun (l’innu des bois), veut dire « la toile de ma tente est trouée de cent étincelles de bois crépitant de mon petit poêle », écrit Alexis Joveneau, missionnaire oblat, dans un texte publié par la revue Histoire Québec. C’est ce missionnaire, qui a vécu pendant des décennies sur la Basse-Côte-Nord, particulièrement à Unamen Shipu (La Romaine), qui apparaît comme personnage central dans Le goût de la farine, le fameux film de Pierre Perrault. Nous en avons fait un de nos guides pour l’expédition de La route sacrée. Dans cet article, écrit au milieu des années 80, le père Joveneau ajoute : « Les Indiens désignent par leur nom chaque perche et chaque piquet de la tente, ils donnent son propre nom à chaque sac de toile selon leur usage ».

Le père Joveneau dans «Le goût de la farine»

Le père Joveneau dans Le goût de la farine de Pierre Perrault

Pepkutshukatteu : quelle magnifique poésie pour parler d’une vie d’avant la modernité. Déjà, en 1984, le père Joveneau souligne : « Les trois qualités des Blancs sont la politesse, la propreté et la ponctualité. Les trois qualités des Indiens sont : la paix, la patience et le partage. […] Pendant des millénaires, les Indiens ont survécu grâce à leur culture. Aujourd’hui, c’est leur culture qu’on essaye de faire survivre. […] Les enfants indiens parlent une autre langue. […] Les Indiens n’emploient plus leurs plus beaux mots, fruits de leur génie, de leur race, fruits de leurs marches et des nuits sans étoile, autour du feu, fruits de cette vie unique qu’eux seuls pouvaient vivre sur terre. […] Maintenant, sur les réserves, les valises ont toutes le même nom, et tous les murs sont semblables ».

Comment comparer le présent de 1984 au présent de 2014? Y a-t-il lieu de croire que l’innu aimun a repris de la vigueur, grâce à la parole d’écrivains tels que Joséphine Bacon, Natasha Kanapé Fontaine, Rita Mestokosho, Naomi Fontaine, grâce à l’œuvre de l’Institut Tshakapesh, grâce à des projets mobilisateurs, tant en cinéma (la Wapikoni mobile) qu’en littérature (Aimititau! Parlons-nous!, Les bruits du monde)?

Pour notre part, sur la route sacrée de la forêt boréale, bien humblement, nous souhaitons trouver des bribes de cette poésie innue et crie, afin de reprendre contact avec une parole millénaire qui, nous le pressentons, existe encore au sommet des épinettes, dans l’antre des ours, dans la tête de bien des grands-pères qui savent encore nommer la danse des lucioles.

 

On peut visionner Le goût de la farine (1977) sur le site de l’ONF.

L’article du père Joveneau dont il est question, « Eka takushameshkui : Ne mets pas tes raquettes sur les miennes », est disponible ici, en format PDF.

L’exposition Matshinanu/Nomades, réalisée par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), été constituée à partir de photos qui provenaient en bonne partie du fonds Alexis Joveneau. C’est Joséphine Bacon qui a écrit les textes en écho à chaque photographie.

Chant pour un passage

Il y a quelques années, mon ami Gérald Dion, un collègue médecin qui a œuvré toute sa vie auprès des populations cries du Nouchimii Eeyou (l’inland cri) comme du Winnebeoug Eeyou (le pays cri bordant la baie de James), fin connaisseur de l’arrière-pays autour du lac Mistassini, a bien voulu me guider jusqu’à l’Antre de marbre. En canot, nous avons remonté la Témiscamie sur une vingtaine de kilomètres, jusqu’à la Colline Blanche. Gérald Dion connaissait déjà l’endroit pour l’avoir visité à quelques reprises. L’année précédant notre excursion, il y avait même campé, avec des amis, devant la grotte principale.

C’est en canotant, en marchant dans la montagne jusqu’au sommet, en récitant de la poésie et en jouant de la flûte, que nous avons pu goûter l’atmosphère hautement sacrée dégagée par ce lieu. Gérald arrivait tout juste d’un périple en Arizona où il avait eu le plaisir de faire la connaissance du poète québécois Pierre Nepveu. Tous les deux, et depuis longtemps, ils s’intéressaient à l’univers des Indiens d’Amérique, à leur spiritualité plus particulièrement. Pour notre excursion à l’Antre de marbre, Gérald avait eu l’idée d’apporter un poème de Pierre qu’il avait pris la peine d’encadrer, intitulé « Chant pour un passage ». Après avoir gravi la montagne et exploré ses grottes, de retour dans mon canot, j’ai demandé à Gérald s’il acceptait de me lire ce poème. J’avais envie de le filmer. Tout de suite, Gérald a acquiescé. Lentement, le canot dérivait sur les eaux tranquilles d’une petite baie de la Témiscamie. C’était le soir ; les épinettes noires et blanches, tout autour, semblaient nous écouter, nous regarder. Sans conteste, je peux dire que ce fut le moment de grâce de cette journée.

Le poème est disponible en ligne dans sa version intégrale.

Nécessité

Absolue nécessité pour les humains, au moins une fois dans leur vie, d’embarquer dans un canot afin de prendre contact avec un lac ou une rivière de ce pays. Pas dans un bateau-moteur ou un traversier. Non. Dans un simple canot, conçu sur le modèle des canots d’écorce inventés par les Indiens. Légère embarcation aux deux bouts effilés, sans quille.

Absolue nécessité de pagayer, c’est-à-dire d’utiliser un morceau de bois sculpté, de manière à prolonger les bras, pour que l’humain et l’eau ne fassent plus qu’un, tout en sentant la caresse du canot à la surface de l’eau, tout cela pour devenir eau et ciel à la fois, même si l’entreprise ne dure que quelques instants.

Absolue nécessité de retrouver l’humain à sa plus simple expression, c’est-à-dire animale et heureuse. Pensons aux loutres, aux rats musqués, aux castors. Sans l’utilisation d’un moteur, dans le frôlement des eaux glissant le long des flancs d’un canot, dans le froissement doux de la pagaie plongée dans l’onde, la tête relevée pour bien voir, mais surtout, pour goûter, sentir, toucher et entendre la Nature, omniprésente.

Notre siècle de robots est lancé à toute allure dans une cacophonie horrible. D’où l’absolue nécessité de reprendre contact avec les cours d’eau, grâce aux embarcations les plus maniables, les plus légères et les plus simples, tout à fait comme le vécut le père Laure, au début du XVIIIe siècle, lorsqu’il partit de Tadoussac pour se rendre jusqu’à la Colline blanche de la Témiscamie.