Le départ est imminent, prévu pour mercredi. Nous avons couru le monde ces dernières semaines : Pierrot aux quatre coins de la France ; Jean à Bar Harbor, au lac MacDonald et jusqu’au Havre Saint-Pierre ; moi-même au lac MacDonald également, puis en Estrie. La route nous habite déjà — et nous avons hâte de nous abandonner complètement à elle. Au moment de faire les derniers préparatifs et d’inventer un rituel pour inaugurer l’expédition, je pense au désir des Indiens de se référer aux quatre directions lors de certaines cérémonies. J’y vois une façon de m’imaginer dans le grand Tout, avec tous mes âges. S’inscrire dans un ordre qui nous dépasse ne permet-il pas de lâcher prise?
Que le meilleur advienne sur cette route sacrée!
Au sud je suis une enfant qui court
dans son haleine et ses énigmes
Mes poupées ont des griffes invisibles
La vérité se fait neuve
Je m’échappe
Je suis une souris
Je vais voir ailleurs
Le ciel avale tout sur son passage
Ô Grand Sud
célèbre la croissance de nos artères
À l’ouest je suis nubile
Nymphe sous la pluie
J’attends ma vision à moi
L’âme qui s’arrondit comme un ours
La suite des méridiens
Là-bas les rivières coulent dans les deux sens
Je veille sur la trajectoire de mon rêve
Ô Grand Ouest
sois notre fétiche, notre fumée noire
Au nord j’enfante
Je me baigne avec les bisons et les nébuleuses
Je sais où loge la clarté
Comment vivre avec le feu
La peur n’a plus cours près des racines
J’abandonne mon souhait d’une vie meilleure
Ô Grand Nord
donne-nous l’endurance de tes plus forts sabots
À l’est je décide de mon pas
Comme un chasseur éphémère
Mes yeux sont des aigles qui parlent
Le territoire me regarde
Et moi je guette le jour naissant
La prochaine illumination est mon embarquement
Ô Grand Est
accueille nos fléchissements, notre silence
Au centre qui suis-je
Vide et polarisée
Partirais-je enfin allège
Pour m’élever plus près des cieux
Ô Grand Esprit
guide-nous dans les turbulences de nos âges
Il y a des poèmes qui flammèchent de tout bois, d’autres qui vous brûlent jusqu’à l’amande amère. Mais au coeur de l’amande parfois, c’est si doux. Dans l’écartèlement de tous tes âges, ma tendre amie, il y a une musique enfantine et grave. La géopoète dans toute sa grâce. Un oeil dur qui voit l’au-delà des apparences.
Géopoète dans toute sa grâce, en effet, chère France! Les commentaires des poètes à propos de la poésie finissent par former d’autres poèmes, ce qui rend la vie plus que sensée, ce qui rend la vie encore plus « poétique ».
Merci de me faire voir jusqu’à toi, jusqu’à l’amande douce, malgré la rareté de nos rencontres de chair et d’os cet été. Le nomadisme m’a happée bien plus fort que prévu. Mais une partie de mon âge est auprès de toi, mon amie.
Bon boréal cheminement les découvreurs du Nord
et pour ne pas s’en égarer, l’invocation à l’Est chaque matin pis au Sud, pis à l’Ouest vous orienteront avec ami Soleil. Mes pensées vous accompagnent, Ibukchuk