Texte 1 : La marche à l’amour de Gaston Miron
Texte 2 : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » (Mc 12, 28-34)
Contexte : de Mistissini à Mashteuiatsh, en passant par Chibougamau, le Sentier du bonheur et le lac d’Aigremont
Le dixième jour, il y a de la légèreté dans l’air. Il fait encore un temps magnifique autour de Mistissini la crie. Nous sommes parfaitement reposés, ayant profité de l’accueil des amis de Pierrot qui étaient si heureux de le revoir, des gens qui lui ont signifié, chacun à sa manière, comment ils appréciaient la joie profonde qu’il dégage. Il faut dire que nous avons aussi vécu un moment de folle camaraderie sur le lac Mistassini, la veille, tout en pêchant et en « slamant » dans le canot! Montage vidéo à venir…
Nous quittons Mistissini en milieu d’avant-midi en direction du lac Saint-Jean. Nous avons décidé de ne pas filer d’emblée vers Québec, aboutissement de notre expédition. Ensemble, nous convenons qu’il serait significatif de nous arrêter au camping de Mashteuiatsh, sur la rive ouest du Piekouagami, tout près du village innu qui fait comme une pointe dans les eaux du lac. Nous avons encore du temps et, surtout, nous ne sommes pas pressés. Le voyage a pris d’une certaine manière une tournure de grand calme. Nous profitons de la route pour discuter de toutes sortes de choses, notamment de poésie. En lisant La marche à l’amour, nous faisons nôtres certaines images de Miron en nous interrogeant : de quelle façon sommes-nous « entêtés d’avenir »? Peut-on d’ores et déjà penser à certaine suites de La route sacrée? Toutes sortes d’idées nous viennent en tête…
Juste après Chibougamau, où nous avons visité un magasin tenu par la fille d’une amie de Pierrot, Alexe, — et où d’ailleurs Isabelle s’est procuré des mitaines en peau de loutre, magnifiques, qui ne lui serviront qu’en janvier, mais qu’à cela ne tienne —, Pierre-Olivier nous suggère de nous arrêter le long de la route, un peu avant la fourche en direction de Chapais. Il y a là un site religieux aménagé en pleine forêt, le « Sentier du bonheur ». À cinq minutes à pied de la route, nous découvrons une minuscule chapelle, toute en bois, émouvante par la beauté toute simple qui s’en dégage. Pierre-Olivier avait promis à l’instigatrice de ce site, son amie Dany Larouche, de le bénir : une fois que nous sommes réunis à l’intérieur de la petite chapelle, c’est ce qu’il fait. Il ne savait pas quand il pourrait donner cette bénédiction si symbolique… mais voilà que nous avons pu entrer sans difficulté, bien qu’il n’y ait personne sur place. Vive les chapelles déverrouillées! Nous nous sommes recueillis un instant alors que les peupliers et les geais bleus, à l’extérieur, semblaient se réjouir avec nous. Pas de cadenas ici. Aucun déchet dans les sous-bois ou autour des rangées de bancs disposées devant une estrade où, parfois, il y a des spectacles de musique. Cet espace sacré est évidemment protégé, habité, aimé. Comme il est écrit sur un panneau de bois près de la route, il a été conçu par les Chibougamois pour « le bonheur ». L’hiver, les gens y parviennent en motoneige, organisent des fêtes pour souligner Noël. Voilà un site bien adapté à la nature nordique! Œuvre de gens visionnaires, dynamiques, au service de la communauté, ayant à cœur de l’enrichir. Nous en sommes émus.
La traversée du parc de Chibougamau se fait sans encombre. Nous stoppons près d’un petit lac, tout près d’une halte routière, pour la baignade quotidienne de Pierre-Olivier. Jean se sauce pendant une seconde et quart avant de sortir de l’eau en courant. La canicule se poursuit, mais les lacs de la région gardent tout de même plusieurs traits nordiques…
Nous parvenons enfin à Mashteuiatsh. Dès notre arrivée au camping, malgré la fête du travail qui est toute proche, on nous annonce qu’il y a encore un site libre juste au bord du lac. Quelle chance! Nous y reculons la roulotte, entre les arbres, puis commençons à débarquer le matériel. Soudain : le train! Un grondement puissant, suivi de plusieurs longs coups de sifflet. L’engin passe peut-être à cinquante mètres du camping! Ouille! Mais ce n’est pas grave. Après quelques minutes, le tonnerre s’apaise. À l’accueil, on nous dit qu’il ne faut pas trop nous en faire… Nous courons vers la plage, admirons un lac miroitant, au soleil couchant, une vraie splendeur, à quelques mètres seulement de notre campement. C’est le temps de manger, de fêter ce dernier soir en expédition. L’eau est mise à bouillir pour le spaghetti traditionnel. Soudain : un party! Un vrai gros party de plage avec système de son plus que puissant, chez les voisins, sur un terrain privé juste à la limite du camping. Fiesta tout ce qu’il y a de bruyant. Un couple de campeurs, assis près de leur Westfalia, à notre droite, nous disent croire qu’il s’agit d’une simple cours de Zumba. Ah bon… dans une heure, donc, tout devrait être redevenu paisible. Nous préparons le souper, mais il y a une certaine tension dans l’air. Même dans la roulotte, les fenêtres fermées, le bruit est assourdissant. Une heure et demie plus tard, rien n’a cessé. Le party semble enclenché pour toute la soirée. Nomades que nous sommes, nous remballons pour nous enfuir à l’autre bout du camping dans un petit trou déniché entre les arbres, heureusement encore disponible car plus éloigné du lac. Nous y replantons la tente. Le soir tombe. Nous dormirons en paix.
Ainsi va la vie dans bien des campings contemporains nord-américains. Autour d’un petit feu, nous nous redisons comment cette expédition put être à la fois pleine et paisible, sauf pour ces quelques moments plus rudes, toujours au sein des grands groupes. Quand vient le temps de chanter, Pierrot hésite à sortir son charango. Même s’il n’est que 20 heures, nous nous souvenons de l’épisode du camping, près des Escoumins, où une dame était venue nous avertir que les instruments de musique étaient défendus… M’enfin! Le nomadisme permet de ne pas devoir vivre trop longtemps collé aux agglomérations de véhicules récréatifs sophistiqués… Ce qu’il faut, c’est reprendre la route, chercher le Nord et d’autres chemins nordiques, d’autres Témiscamie, derniers refuges pour les silences les plus habités — espaces où la solitude la plus saine peut être partagée avec les plantes, les animaux, et parfois, avec les humains.